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L'organisation de la justice dans les tribus de coutumes berbères au Maroc (Août 1930)

Texte signé par un auteur surnommé Mohand, explique le contexte historique et juridique de l'organisation du Protectorat dans les régions conquises par les armes et la philosophie de la France en la matière. Il s'inscrit également dans la polémique sur le " dahir berbère " entre la France ses protégés et les autres puissances. Ce texte est tiré du livre de Med Mounib " dahir berbere le plus grand mensonge " qui est à l'origine publié par Mohand, la Revue de l'Afrique francaise, 1930, pages 442-444

L'organisation de la justice dans les tribus berbères, au Maroc, consacrée par un dahir chérifien du 16 mai 1930 (Afrique Française, juin 1930, p. 345) a fait l'objet, dans ce Bulletin, de commentaires qui en ont souligné l'importance. Ce dahir, rappelons-le, donnant force de loi à ce qui n'était jusque-là admis que par l'usage répondait à la volonté formelle de deux millions et demi de Berbères marocains de défendre et de voir respecter leurs coutumes et traditions, leur justice surtout, leurs azrefs, leur orf, si différents de la loi coranique arabe du Chrâa.

Cette décision, suite logique d'un dahir de Moulay Youssef en date du Il septembre 1914 qu' aucun Musulman, même le plus orthodoxe des Oulémas, n' avait jamais discuté, et qui associait le Sultan et la France dans un geste de justice à l' égard des Berbères, fut bien accueilli par ces derniers mais provoqua au contraire quelques réserves d'abord et des manifestations de mécontentement dans certains milieux arabes des villes, dont la tendance est d'arabiser le monde berbère en le ramenant aux règles rigides de la justice du Chrâa.

La réaction arabe ne pouvait cependant pas être profonde, car le dahir du 16 mai n'était ni le fait du Prince prenant une décision arbitraire, ni une innovation; il constatait en forme légale l'existence d'une situation préétablie, multi-séculaire et déjà reconnue par le dahir de 1914, en harmonisant cette situation avec les nécessités présentes de la justice et de l'administration. On en était là de cette affaire, quand d'extraordinaires rumeurs parvinrent du Maroc, surtout via Madrid et Londres .

Des journaux espagnols annoncèrent que des événements graves, susceptibles de développements insurrectionnels, étaient à la veille de se produire au Maroc, à l'appel des Arabes accusant la France et le Sultan de vouloir détacher de l'Islam les Berbères musulmans. De ceux-ci nous voulions faire, paraît-il, des Chrétiens! Ces pensées ineptes nous font sourire. En Islam, cette sournoise accusation risque de réussir, car elle éveille dans le coeur d'une foule primitive d'intimes et vives émotions. On verra par la suite ce que des ennemis de la France, appuyés d'un quart de douzaine de jeunes " intellectuels " marocains instruits naturellement par nos soins, tirèrent de cette affaire, contre le Sultan et contre nous.

Mais d'abord, reprenons l'examen du problème et des dispositions du dahir. Comme suite à la soumission des premières tribus berbères dissidentes, le Sultan et le général Lyautey faisaient paraître, en plein accord, un dahir, du 11 septembre 1914, reconnaissant aux Berbères l' existence de leur statut spécial, basé sur la coutume, et leur droit à conserver ce statut. Ajoutons que c ' était, à cette reconnaissance par le Maghzen et la France que les Berbères, dès cette époque, et encore aujourd'hui, subordonnent leur soumission. C'est ce que Moulay Hassan lui-même avait fait jadis avec les tribus berbères qu'il était allé soumettre au Sous. Une instruction du général Lyautey, en 1915, réglait avec quelques précisions le fonctionnement de la justice indigène chez les tribus de coutume berbère. L'article 3 portait : " Chaque fraction a sa djemâa, assemblée locale dont les membres sont choisis et désignés pour trois ans parmi les notables de la fraction, en nombre égal à celui des douars. La djemâa choisit son président. La nomination du président et des membres de la djemâa est soumise à l'approbation de l'administration centrale sur la proposition des commandants de région. Leurs fonctions sont gratuites. "

Depuis cette époque, les djemâas judiciaires fonctionnent normalement. Le Sultan avait été amené en 1922 à rendre légales, par dahir, de nombreuses dispositions touchant au statut immobilier berbère, car déjà se posaient aux confins de la dissidence berbère des questions de transactions immobilières. Mais l'existence des djemâas, la force exécutoire des jugements n'avaient pas encore été légalement reconnues.

En 1924, une commission avait préparé un dahir dans ce sens, les événements du Rif, survenant, l'avaient fait ajourner. Cependant, les progrès de la pacification, la création de voies de communication, et les besoins de la colonisation mettaient de plus en plus en contact et en liaison d'affaires Berbères, Arabes et colons européens. De là la nécessité de consacrer la législation coutumière existante, sauf à introduire par la force, c'est-à-dire les armes à la main, la loi coranique du Chrâa avec ses juges, les cadis, parmi les Berbères qui s 'y refusaient absolument. Un exemple précis de cette hostilité berbère au Chrâa se relève aux portes de Rabat, dans la tribu des Zemmours, dans laquelle sont installés de nombreux Européens. Après sept ans de vains efforts, le Cadi installé par le Maghzen au centre de la tribu a été obligé d'abandonner son tribunal vide de tous justiciables, ceux-ci, Berbères, affectant de l'ignorer et réglant eux- mêmes entre eux leurs différends.

En 1929, chez ces Zemmours, 3 000 actes ont été passés et plus de 700 procès réglés avec quatre à cinq appels, ces affaires mettant souvent aux prises Arabes, Berbères et Européens. Quels tribunaux européens battraient-ils ce record de la soumission aux décisions de justice ? Tel est d'ailleurs l'esprit d'équité qui préside à ces jugements, leur simplicité, leur rapidité, que des tribus berbères arabisées, donc acceptant la loi du Chrâa, en reviennent peu à peu à leurs propres coutumes et réclament du Maghzen leur reconnaissance comme "tribus de coutume". Contre cet attachement des Berbères à leur loi familiale, différente des règles du Chrâa, les Sultans les plus forts, les plus violents, n'ont rien pu faire. Pourquoi la France s'y essaierait-elle, alors surtout que le principe fondamental de notre Protectorat est de ne pas nous immiscer dans les questions religieuses des indigènes -principe qu'au surplus il serait bon de rappeler à nos agents, car il est de toute évidence que toute propagande chrétienne en pays musulman serait dangereuse si elle n'était pas parfaitement vaIlle.

Que le dahir du 16 mai 1930 réponde donc aux aspirations des Berbères marocains, nul doute, aussi bien témoignent les nombreuses adresses parvenus à Rabat pour en remercier le Sultan.
Celui-ci n'en voit pas son autorité diminuée, car la justice en pays berbère sera désormais rendue en son nom et les juges étant nommés par arrêtés viziriels.
Le dahir comprend trois parties :
" Compétence des caïds, reconnue dans la même mesure en tribus berbères comme partout ailleurs ;
" Compétence légale des djemâas reconnue pour toutes actions civiles ou commerciales, mobilières ou immobilières et statut successoral et personnel ;
" Introduction d'un juge français parmi les assesseurs indigènes pour le criminel seulement.
Ce troisième point est le plus délicat. Il était de toute nécessité politique, pour des raisons impératives de sécurité, que l'administration du Protectorat s'occupât du criminel dans des régions où nous pénétrons de plus en plus. L'assassinat, en pays berbère, est de médiocre importance; La vie humaine vaut peu, puisqu'un criminel la rachète avec une vache ou quelques moutons. Un juge français devient nécessaire et c'est sa présence désormais dans le tribunal criminel qui, par une confusion systématique et de mauvaise foi, fut représentée aux Berbères comme l'indice de la christianisation prochaine de ces Musulmans. Des tracts (souvent venus d'Egypte par la poste anglaise, contre laquelle nous sommes désarmés et dont la survivance au Maroc français est pour nous comme celle des tribunaux consulaires et des protégés britanniques, un anachronisme choquant et presque injurieux) tournaient en dérision les Berbères abandonnant l'Islam pour devenir chrétiens. Rien ne peut être plus perfide, ni plus agissant. Cette propagande en déformant les faits est très dangereuse. Elle fait du dahir une question de religion, elle éveille le fanatisme générateur des pires excès. Que des mains étrangères apparaissent là-dedans, comment en être surpris ? L'heure n'est pas venue de dire les conjonctions surprenantes qui associent des éléments anglais, allemands, italiens et russes dans une hostilité commune contre la France au Maroc. N'oublions pas, pour expliquer cette situation, que l'Angleterre, en 1904, nous laissait les mains libres au Maroc pour prix de notre retraite d'Egypte, qu'elle est en train d'abandonner elle-même sous la pression du nationalisme égyptien. Que faut-il en conclure ? Que l'Allemagne cherche à reprendre dans le Sous sa politique d'avant-guerre ? Que l'Italie réclame une distribution nouvelle des territoires coloniaux, et que la Russie enfin, ou plutôt les Soviets, ont entrepris partout dans le monde leur politique d'insurrection... et l'on comprendra quelques-uns des problèmes qui se posent au Maroc.

Comme auxiliaires de cette politique, des complicités conscientes ou inconscientes se sont trouvées parmi des Marocains. Certes, beaucoup d'indigènes arabes du Maroc ont pu regretter dans la sincérité de leur foi la reconnaissance d'une collectivité berbère qu'ils avaient l'espoir lointain de voir, un jour, arabisée. Ceux-là doivent être assurés de la neutralité française dans ce problème purement religieux. Les Berbères sont musulmans, qu'ils le demeurent! La France a donné en Algérie, à cet égard, assez de preuves de son libéralisme, pour n'être pas accusée de pratiquer sournoisement à l'Ouest ce qu'elle n'entreprit jamais à l'Est. N'est-ce pas d'ailleurs avec notre encouragement et grâce aux finances marocaines réorganisées par nos soins que se relèvent là-bas des mosquées en ruine et des médersas désertées ? Donc paix et respect aux Musulmans de bonne foi! A côté d'eux malheureusement une clique de quelques "voyous" munis de vagues certificats d'études veut jouer au Maroc les Gandhi ou les Zaghloul, sans se douter que ceux-ci représentent pour l'Angleterre une menace parce qu'ils sont une "conscience", tandis que ces échappés de l'école primaire ne sont que des tubes digestifs. Préoccupés surtout d'exploiter la crédulité de la masse populaire marocaine, ils l'excitent par l'idée religieuse alors que dans le privé et en qualité d'intellectuels, ils se disent athées. Quelques journaux français, en publiant la nouvelle de troubles qui n'ont jamais eu de gravité, ont demandé des éclaircissements sur la situation présente au Maroc. Les voilà! Ils signifient combien nous devons être vigilants et combien la France, dans la poursuite de son oeuvre humaine au Maroc, comme ailleurs, a besoin d'être forte. Combien aussi tous les Français associés à cette mission doivent s'unir dans un patriotique effort, en se gardant des questions de boutons et en se dérobant aux intrigues qui ne cessent d'agiter la société musulmane, au Maroc en particulier. A ce prix, nous irons jusqu'au bout de la tâche. Nous ferons une oeuvre saine et durable. Le dahir berbère marque une étape dans l'entreprise française au Maroc, étape franchie après quatorze ans de préparation. Que demain, sur quelque autre point, la France marque un nouveau progrès, et nous retrouverions pareillement associés contre elle tous ceux que révèle l'agitation présente autour du problème berbère. Pour nous combattre, ces adversaires n'attendent pas de" raisons "o Ils ne recherchent que des "prétextes".
Le dahir berbère est un prétexte. (Août 1930)

Retour au dossier spécial sur le dahir chérifien du 16 mai 1930 nommé "dahir berbère par les protégés de la France coloniale

 

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