Abderrahim Chtiba, un amazighophobe qui s'exprime dans le liberation Marocain
Lisez cet article publié par le journal Liberation du parti socialiste USFP marocain
Au pays des Imazighen, on se moque de Tifinagh; on ne sait même pas ce que cela signifie. Quand on leur explique, en des termes simples, que Tafinagh est un ensemble de lettres avec lesquelles on écrit leur langue, ils réagissent par une inclinaison latérale de la tête, une petite moue pincée et une expiration nasale.
Pff! Comme c'est insignifiant! Si on est sensible à la question Tamazight, on double alors l'effort pour mieux présenter la chose. Sourire de politesse à l'appui, on trace avec n'importe quel objet des signes biscornus qui ressemblent tantôt aux cornes de chèvres, ou aux cordons de gourdes, tantôt aux poules, ou simplement à des mouches. La démonstration tourne au ridicule : on rit. Ces traces, disent-ils, correspondent aux sabots et aux pattes. On dirait même des récipients argileux, ou des bottes de paille. Mais enfin ce ne sont que des gravures comme celles tracées par des insectes menuisiers sur un vieux cèdre échappé aux coupes trop fréquentes ayant déboisé tout le flanc de leurs collines. Ils assurent, en outre, que leurs graffitis sur des tapis à tissage fin sont d'une meilleure allure.
Dans ce pays, les Imazighen, tous de petite taille due à une nutrition insuffisante, connaissent mieux les Américains qu'ils côtoient tous les jours que leurs concitoyens intellectuels ou politiques installés à Rabat. Les premiers financent leurs petits projets, soignent leurs malades ; les seconds leur parlent de langue et de culture. D'autres acteurs plus dupes émettent sons et images vers des destinataires fictifs.
Ceux réels ne reçoivent que du vent soufflé aux travers les couloirs montagneux qui, sans saison pluviale, brûle petite herbe et poils dorés, semés avarement sur quelques parties du visage. Celui du vieux berger qui ne fixe que son troupeau, ou d'un enfant assis au bord de la route à côté d'un panier de pommes ou de noix qu'il vend à l'unité. Ces gens ne regardent que rarement la télévision pour comprendre qu'on a décidé de réserver un espace audio-visuel à leur patrimoine culturel. Quand ils trouvent le temps de s'intéresser à l'image, c'est celle des satellites qu'ils apprécient le plus. Ils ont bien raison de regarder ailleurs ; néanmoins ils ne souffriront pas des débats torturants opposant de temps en temps les conservateurs new-gauchistes aux Harraki centripètes.
Pendant que les uns, alors hautains farouches de la langue arabe, exigent de la constitution une reconnaissance nette de la langue Tamazight; les autres, idéologiquement imazighen, ironisent et appellent au calme. C'est qu'ils sont plus sages! La question berbère est leur chose; eux seuls savent comment en faire usage, en abuser. Y a-t-il vraiment une question berbère? Ne s'agirait-il pas d'un vestige de miettes légué aux générations indépendantes? On s'en sert quand on n'a plus rien à dire. Même à ce niveau, il semble bien que tout est déjà dit.
Qui ne connaît pas les conclusions de Stephan Gsell, de Georges Marcy ou encore celles de Charles Faucould pour n'en citer que quelques-uns? Qu'apporte-il au pays des Imazighen de savoir que ses dialectes se rapportent tous à une langue commune qui serait le libyque, parlé en Afrique du Nord bien avant le punique, importé par les Phéniciens? Que gagnera-t-il si on lui explique que le Berbère est aujourd'hui une langue parlée qui n'a pas d'écriture, et que grâce à Tifinagh elle saura vivre plus longtemps, même s'il n'est lisible que très lentement, en épelant et tâtonnant?
Que de nombreuses inscriptions libyques bilingues ont été trouvées au Lixus et traduites avec soin? Pourquoi troubler ces gens en leur présentant un système d'écriture suivant quatre directions : de bas en haut, de haut en bas, de droite à gauche et de gauche à droite? Ne serait-il pas possible de leur proposer un autre système qu'ils connaissent déjà? Cela aurait facilité leur tâche.
Au pays des Imazighen, on se moque de tout cela. On souhaite avoir des routes praticables, des hôpitaux, des écoles et un peu de lumière. On veut les moyens pour se procurer plus de chèvres et de brebis, car ce sont là leurs seules ressources. Ces gens savent qu'ils sont berbères, car ils vivent ainsi et parlent berbère.
Et nous! Connaissons réellement notre identité? Sommes-nous arabes? Ou berbères? Et si nous étions phéniciens? Ou Libyens? Ou maures? Ou tout simplement un mélange de tout cela? Nous sommes en réalité des Marocains ayant un Roi à servir, un drapeau à défendre et un gouvernement qui doit partir.
Abderrahim Chtiba
source journal francais liberation.
Abderrahim Chtiba, "Caprices du lundi: Au pays des Imazighen », Libération (Maroc), édition du 28 novembre 2005
Réponse à l'article de Libération. Face à l'invective, l'explication du texte
Ecrit par Labari
07-12-2005
Il faut désormais être deux pour s'envoyer des amabilités, de revenir à l'histoire ou à sa philosophie et pour savoir pourquoi on est là et d'où on sort. Le premier déclaré est un obscur « journaliste (1) » qui, on peut paradoxalement lui savoir gré, n'use pas de l'euphémisme tant éprouvé par ses confrères. Lesquels, pour nous prendre, nous les Berbères du Maroc, comme objet de leurs investigations avec une démarche bien rôdée reconnaissant notre autochtone marocanité, s'empressent de rappeler l'immense apport de la civilisation arabo-islamique sans laquelle, du reste, on serait encore à l'état de nature. Soit, mais la partie est loin d'être élucidée car nous sommes extrêmement vigilants aux dérapages et aux simplifications (ou falsifications de notre Histoire). Nous ne cédons pas par contre à la facilité et loin de nous l'idée de répondre à l'insulte par l'insulte. Ce n'est pas notre marque de fabrique pour ainsi dire. En gros, on n'a pas attendu la mise en place de Tifinagh pour exister ni une corporation pour défendre nos intérêts. Il faut convenir que la formalisation de notre culture orale mais têtue devient l'objet de soudaines attaques comme s'il s'agissait de trahir la marocanité du pays légal. Sans jouer les coudes, on est donc deux à « faire Maroc ». Les Berbères berbérophones (dont la langue n'est pas l'identité exclusive !), et les Berbères arabophones parmi lesquels l'auteur de l'article en question devrait compter).
Je n'ai pas pour habitude de céder à l'invective qui caractérise un certain style au sujet de tout ce qui touche curieusement à l'identité et à la culture berbères. Mais avant même d'esquisser quelques éléments de réponse à l'article en question, j'aimerais soulever un point lancinant : pourquoi donc la plupart des analystes passent-ils outre toute objectivité (journalistique !) quand il s'agit de traiter des Berbères ? Curieusement aucune raison avouée ne vient justifier leur parti-pris. Si le champ journalistique marocain reste malheureusement cloisonné dans une sorte d'intérêt de classe et marqué par un habitus de domination culturelle, l'hypothèse de dénigrement pour se protéger de la concurrence dans ce vaste champs semble requérir une certaine consistance. Peut-on parler d'aveuglement s'agissant de ces approches ?
Toujours est-il que le principal étant qu'on est là et badiner avec le comment et le pourquoi me semble relever de l'hérésie. L'article de Libération dans les colonnes duquel il m'est arrivé d'exprimer des vues, croit bon s'adonner à cet exercice oh combien miné et passionnel. L'article est ainsi un ramassis de descriptions sommaires, de généralités faisant de l'auteur tour à tour linguiste, historien, géographe, voire apprenti ethnographe et finalement bourré de jugements de valeur à des fins de dénigrement et de stigmatisation. Le drame des apprentis généralistes est de corrompre, voire de supplanter tout débat contradictoire pour en rester au stade de l'exposition comme si celui qui voulait étudier un art culinaire l'appréhende dans la salle à manger au lieu d'aller voir au fin fond de la cuisine. La terminologie est clairement accusatrice, le style creux et pour revenir aux renvoies un peu bricolés, relevons des approximations (y compris orthographiques) qui les traversent. Ainsi Charles De Foucauld, à qui l'auteur a fait le grief post mortem de corrompre le nom, s'est vu en un tournant de phrase gaspiller les activités ethnographiques tout à fait remarquables depuis l'Algérie jusqu'au Maroc. Question défiguration, l'auteur manie un zèle manifeste de ne connaître que biaisement l'auteur de « Reconnaissance au Maroc ». Ce n'est pas le lieu ici de discuter de la profondeur des analyses du père De Foucauld sur la société berbère et nomade, mais on est vraiment dans le superficiel.
Il y a aussi un dénigrement caractérisé, une somme d'inquisitions d'un autre âge. Quand l'auteur évoque la petite taille de nos montagnards due, selon notre analyste éclairé, à une nutrition insuffisante, on le croirait spécialiste de la sociobiologie, discipline aujourd'hui en plein essor malgré le darwinisme social qui la caractérise.
Il y a aussi un poujadisme conjugué à ce qu'on peut appeler un américanisme opportuniste. Ah l'auteur ne s'est pas retenu pour marquer une ligne Maginot entre les Berbères du bled et ceux des cercles intellectuels de Rabat ! En interprète de « ces hommes de petite taille », l'auteur argue qu'ils n'ont rien à faire avec le Tifinagh, mais ont besoin d'une aide que les Américains, pays où la sociobiologie est née et prospère de nos jours, ne daignent jamais de leur prodiguer. Après la politique du ventre, chère à Georges Balandier, l'auteur fait sienne la société du ventre.
Prendre pour objet l'amazighité signifie in fine la réduire à une sorte de contenant sans contenu. Tout se passe comme si ces forces vives étaient rangées dans le magasin des accessoires. A cet égard, les analyses proposées semblent frappées d'un cachet de conservatisme déniant aux Berbères la possibilité de changer d'une génération à une autre. Faut-il rappeler que les Berbères montagnards étaient jadis en première ligne dans le combat anti-colonial. La région de l'Anti-Atlas était la dernière à être pacifiée, selon le Général Guillaume, acteur de cette « pacification ». L'insuffisance de la nutrition n'était pas manifestement un frein à la rudesse physique de ces montagnards valeureux dans la défense de leurs terres et extensivement pour un Maroc libre.
On n'attend de quiconque de nous délivrer un certificat de vie ni de nous octroyer une identité. L'amazighité n'existe pas en soi et en l'air, elle est dans le réel, elle est inscrite jusque dans les paysages. Il est certain que ceux qui y associent leur passion ne l'ont pas découvert dans une boule de cristal: elle est un héritage légué malgré les diverses conquêtes et influences pré-arabes.
Hélas, dans un Maroc en pleine ébullition, les articles de cette teneur sont encore légion. Devant l'impunité de leurs auteurs, il y a simplement lieu de rappeler qu'on ne meurt pas de la bêtise.
Brahim LABARI.
Sociologue
En collaboration avec Aïcha El Hassani, lahcen Benbella, Lahsen Olhadj, Ali Idaîssa, Bakrim Anas, Wanaim Mbarek, Fandi Abdallah, Bouyaakoubi anir, Ouzaaîte Lahcen , Abdellah Aïdouch et Bouliddam Lhoucine.
Abderrahim Chtiba, "Caprices du lundi: Au pays des Imazighen », Libération (Maroc), édition du 28 novembre 2005
Texte accompagnant le droit de réponse.
Bonjour,
Il y a quelques temps, vous m'avez ouvert vos pages (c'était l'ancienne équipe de rédaction) pour exprimer certaines de mes vues sur divers problèmes.
Aujourd'hui, je dois vous écrire pour vous soumettre en fichier attaché le droit de réponse à l'article "Caprices du lundi: Au pays des Imazighen". Le tollé que cet article a suscité au sein de la communauté amazighe de France et l'indignation devant les idées qui, à défaut d'être développées, sont évoquées dans le dit article en disent long sur le mécontentement général et unanimement partagé. Une pétition est déjà en ligne sur le site de Tamaynut France et exprime le véritable choc des propos de cet auteur. Nous croyons à la liberté journalistique dès lors qu'elle ne bafoue pas les principes élémentaires du "vivre ensemble".
Je vous prie donc de publier (et en première page) cette mise au point que j'ai rédigée en collaboration avec les membres et sympathisants de l'association Tamaynut France. Je crois que c'est le moindre bon sens pour que vive le débat contradictoire même si notre droit de réponse n'a jamais cédé à l'invective ou à l'insignifiance.
En espérant que ce genre d'écrit cesse dans un quotidien qui se veut par ailleurs responsable et mature.