Pourquoi les Amazighs sont-ils bêtes ? Incroyable que cela puisse paraître, c'est la question à laquelle un journaleux de Libération a tenté, avec ses mots, de répondre dans un chiffon publié le 6 juin 2016. Dans ce texte, le « journaliste » marocain ne comprend pas pourquoi les citoyens du Maroc inutile (autrement dit les Amazighs) s'entêtent à utiliser les traitements traditionnels en cas de piqure de scorpions ou de morsure de vipères alors qu'il existe des traitements « efficaces » au Maroc. Il en conclut que, malgré les progrès de la médecine, les Amazighs sont toujours aussi débiles. Très surpris par le mépris nauséabond que cette personne exprime pour les Amazighs, nous allons lui apporter quelques éléments de réponse. Histoire de le remettre en place et de l'orienter vers le vrai problème.
L'article de presse traite d'un problème de santé publique au Maroc. Cependant il s'agit plus largement d' un phénomène qui frappe toute l'Afrique du Nord : les envenimations scorpioniques (ES) et les envenimations par morsures de serpent (MS). Les serpents les plus dangereux se trouvent dans les régions du Souss, dans les zones prédésertiques du sud de l’Atlas (Goulmim, Tarfaya..), au Moyen Atlas, dans le rif et au Sahara. La répartition des scorpions est quasiment identique. Précisons que le Centre Anti-Poison et de pharmacovigilance du Maroc (CAPM) s'est penché sur la question. Le CAPM sensibilise les marocains, notemment dans les régions rurales et fait de la prévention en leur recommandant de consulter immédiatement plutôt qu'utiliser divers remèdes de grand-mère, néfastes et inefficaces, selon l'organisme... Précisons également qu'aucune étude n'a été faite pour juger de l'éfficacité ou non des traitements traditionnels.
Vous n'allez pas le croire : cet abruti de journaleux (qui n'a pas daigné signer son texte) estime que les Amazighs qui vivent dans les régions les plus reculées sont aussi capricieux que des enfants gâtés. En effet, si en 2016, les Amazighs des campagnes et des montagnes utilisent encore les remèdes qu'ils ont hérité de leurs ancêtres, c'est parce qu'ils rejettent la médecine moderne. Ils s'auto-excluent donc eux-mêmes de l'offre de soins au Maroc. C'est un véritable scoop ! Selon l'auteur, « ces méthodes anciennes et traditionnelles qui subsistent particulièrement en milieu rural, se basent sur des hypothèses telles que la proximité avec la nature qui offre des plantes et des herbes médicinales susceptibles de traiter différentes maladies ». Affirmer qu'il n'y a pas d'hopital dans la région n'est pour lui qu'un prétexte. Son point de vue est clair : les Amazighs se contrefichent « de la pertinence de la médecine moderne » ce qui tend « à s’interroger sur les raisons de la persistance de ces méthodes anciennes ». Monsieur est outré par « cette approche traditionnelle devenue archaïque et dépassée, vu le progrès médical réalisé dans ce sens ».
Pour lui, les Amazighs ne sont que des primitifs dont les croyances « s’opposent à la science ». Rien que cela. Obnubilé par la déliquescence de la mentalité amazighe, Monsieur X, qui ne fait qu'exprimer son aversion à l'égard des Amazighs, est un citadin. Et comme de nombreux citadins hautains, à défaut de ne pas connaître son Histoire, il crache sur les Amazighs, en établissant un rapport de forces entre la ruralité et l'urbanité et, par corrélation, entre la médecine moderne et la médecine traditionnelle.
L'auteur anonyme est sûrement un citadin aisé. Il est même probable qu'il vit dans la région de Casablanca, siège de la rédaction de Libération. Il a la chance de vivre dans la région la plus riche du pays. Première région économique du Maroc, elle est concentrée en infrastructures. Le Grand Casablanca, c'est plus de 20% du PIB, des ports, des routes et autoroutes, des industries et une armada de PME. Ce n'est pas tout. Lorsqu'il souffre d'une pathologie, le citadin peut se permettre de consulter et il a l'embarras du choix ! La moitié des hopitaux marocains se situent sur l'axe Rabat-Casablanca (secteur privé compris).

Les régions amazighes sont désertées par les médecins, à la recherche d'un meilleur confort de vie. La carte sanitaire du Maroc est bien claire : les « ruraux », comme écrit l'auteur de l'article, sont discriminés par rapport aux grands ensembles urbains, surtout dans zones enclavées et éloignées de tout comme dans la province d'Azilal. Selon le salarié de Libé, rétorquer que les centres de santé sont éloignés du domicile n'est qu'un prétexte. Comment donc explique-t-il le succès des caravanes médicales, ces initiatives associatives rares mais salvatrices pour les Amazighs ruraux ? Comment donc explique-t-il toutes ces interminables files d'attentes pour avoir accès aux aux soins de bases mais aussi des prestations assurées par des spécialistes ? Pour pallier au manque de couverture médicale, des associations traversent les zones les plus marginalisées du Maroc. Etrangement, elles constatent de fortes afluences, ingérables pour les bénévoles ! A titre d'exemple, au mois de mars, l'association Action Urgence s'est rendu aux environs de Ouarzazate. De nombreux citoyens se sont pressés pour « profiter de soins gratuits qui coûtent trop chers pour elle ou qui lui sont inaccessibles géographiquement » selon Zahra Chabbouni, membre de l'association. Diabète, hypertension artérielle, allergies, problèmes digestifs.. Les patients souffrent de tout. Selon l'ophtalmologue de l'association, « la plupart n’ont jamais vu un ophtalmo. Ils traînent des problèmes de vue depuis l’enfance. Pour certains, c'est trop tard, il n’y a malheureusement plus rien à faire ».
Le journaleux de Libé continuera-t-il à prétendre que les Amazighs ont juste la flemme de se déplacer pour aller consulter ou encore qu'ils ne croient pas à la médecine moderne? De telles balivernes sont des insultes aux Amazighs qui souffrent au quotidien et qui n'ont que les plantes et les épices pour pleurer. Les Amazighs ne sont pas bêtes : ils sont juste colonisés, chez eux et survivent chaque jour, en attendant que la mort les frappe. Il n'y a guère de place ni au misérabilisme, ni à la victimisation, ni l'exagération. C'est tout simplement la réalité, aussi cruelle soit-elle. Les discours les plus éloquents ne changeront pas la donne : les Amazighs, qu'ils soient du Maroc ou d'ailleurs, sont colonisés. En cas de piqure de scorpion, l'Amazigh qui n'a pas de véhicule n'a pas le temps de rejoindre l'hôpital le plus proche. Il a juste le temps de crever. Or, le temps post-piqure (TPP) ne doit pas excéder une certaine durée pour éviter le pire. Mais tout cela, Monsieur X n'en a que faire. C'est juste un prétexte ! N'évoquons pas l'état des « routes » pour ne pas dire de la piste , sans parler de tous ces médecins corrompus. Mais ça, c'est un autre débat. A vrai dire, ce que l'on ne veut pas reconnaître c'est qu'au 21ème siècle, il y a encore des êtres humains qui vivent dans un autre temps. D'où cette tendance à considérer les Amazighs comme des primitifs plutôt que de remettre en cause les politiques publiques. C'est bien plus simple de considérer les Amazighs comme des bouseux débiles, à la marche du progrès.
Dans un pays où même le Roi va se soigner à l'étranger, on ne peut que s'interroger sur l'avenir des Amazighs, à mille lieues d'avoir la possibilité d'aller se soigner dans un hopital. Si les élites, refusant même de se soigner dans le privé, se pressent pour prendre l'avion quand ils sont malades, c'est que la situation est très grave. L'état lamentable des hopitaux publics marocains est bien connu. Fait récent : l'acteur Dominic Purcell, qui joue dans la série Prison Break s'est cassé le nez lors du tournage de la 5ème saison à Ouarzazate. Choqué, il témoigne : « Le premier hôpital était fermé. Nous étions à Ouarzazate, et l'infrastructure médicale n'est pas la meilleure. Ils m'ont emmené dans un autre hôpital où des chats se baladaient. On m’a installé dans un petit bloc opératoire où il y avait des tâches de sang partout et des médecins confus qui se demandaient qui allait m’opérer. Je me suis assis en les regardant et j’ai quitté calmement le bloc et l’hôpital ». Témoin de la détresse des Amazighs l'acteur a été transféré par hélicoptère. Où cela ? A Casablanca pardi !
Pour information, en 2012, sur ordre du Roi du Maroc, un hopital médico-chirurgucal a été déployé dans le camp de Zaatari en Syrie, par les Forces armées royales pour fournir l’assistance médicale aux réfugiés syriens. Cette initiative on ne peut plus louable mobilise une centaine de cadres dont une trentaine de médecins de 20 spécialités. Plus de 10 millions de dirhams ont été alloués pour ce projet. La solidarité est une belle valeur. Néanmoins, être solidaire avec les étrangers en crachant sur son peuple ne relève pas de la solidarité mais de l'hypocrisie. L'état marocain véhicule une belle image du Maroc mais les Amazighs seront toujours là pour dire la vérité : aucun discours politique n'est vrai, les autorités laissent les citoyens mourir à petit feu.
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Dominic Purcell à warzazate prenant un enfant Amazigh |
Dominic Purcell l'acteur de Prison Break gravement blesse sur le tournage à warzazate |
Les Amazighs ne sont pas opposés à la science. C'est l'état qui est opposé aux Amazighs. Les faits sont là. Les associations humanitaires sont débordées lorsqu'elles se déplacent chez les Amazighs pour les soigner. En quelques heures, elles doivent gérer des dizaines de patients. Les Amazighs aiment la science et le progrès. D'ailleurs, derrière l'expression mensongère « sciences araves » se cache de nombreux Amazighs. Malgré leur détresse, ils sont ouverts et accueillent les étrangers avec le sourire. Ceux qui sont opposés à la science sont tous ceux qui, soumis à des traditions moyennageuses, ne veulent pas s'adapter à la post-modernité. Ceux qui rend les gens bêtes et débiles, ce sont tous ces discours archaiques qui abrutisent les citoyens pour les détourner des vrais problèmes : le chomâge, la santé, l'Histoire nationale. Comment envisager son avenir dans un pays où il ne faut pas tomber malade ? Que dire des piqures de scorpions ? Une chose est sûre : le venin du mépris et de la haine est beaucoup plus toxique que celui du scorpion. Quand on dénigre la médecine traditionnelle amazighe et qu'on fait l'éloge de la médecine traditionnelle arabe (Al Tibb An Nabawi), il y a matière à débattre...
Nous conseillons au « journaliste » d'aller vivre chez les Amazighs quelques jours (ou quelques heures) pour constater leur grande ouverture d'esprit et, par ricochet, les conditions dans lesquelles ils (sur)vivent. L'idéal c'est qu'il s'y rende en été, et qu'il se fasse piquer par un scorpion. Evidemment, il ne doit pas être véhiculé ni avoir d'argent car ce sont deux denrées rares chez les Amazighs. Ce serait trop facile d'avoir de l'argent, un 4*4 et à manger à Koh Lanta ! Ainsi, il rédigera un article fondé sur les faits et non sur des idées reçues, très discutables. Au pire, un stage de survie ferait l'affaire. Des occidentaux, qui ressentent le besoin de vivre « la vraie vie », loin du confort dont ils bénéficient au quotidien, sont de plus en plus nombreux à tenter l'aventure, histoire de revenir aux vraies valeurs et de penser aux autres plutot qu'à soi-même.
Pour eux, le programme de ces stages de survie est chargé : marcher, rechercher de l'eau, apprendre à monter un abri, allumer un feu, fabriquer des outils, s'orienter au rythme des étoiles... Ils apprennent à cueillir, chasser, poser des pièges, attraper des insectes, des scorpions, des grenouilles et bien plus encore. Ce sont des touristes qui apprennent des Amazighs et non qui les jugent derrière un PC, dans un appartement bien isolé au cœur de la capitale économique de leur pays. Ils apprennent le sens de la débrouille. Faire avec les moyens du bord. En cas de piqure de scorpions, ils font avec ce qu'ils ont. Mais le journaleux de Libé ne sait pas ce que veut dire, en langage familier, « se démerder ». Nous lui souhaitons la bienvenue chez les Amazighs des campagnes et des montagnes. Un peuple qui, au lieu de s'unir pour se révolter, préfère survivre et attendre la grande Faucheuse. Avec le sourire, toujours.