Conscients
de l'importance d'une protection constitutionnelle de la langue
et de la culture amazighes, Convaincus que l'équation constitutionnelle
constitue un passage nécessaire pour la réconciliation
du Maroc avec son amazighité, Partant de la notion de démocratie
dans sa dimension juridique, elle-même garantie par les
pactes et conventions internationales, Nous inspirant des expériences
constitutionnelles qui ont accompagné les processus de
changement politique, et qui ont joué un rôle institutionnel
décisif dans les transitions démocratiques, Prenant
en compte le climat général régnant sur-le-champ
politique marocain, et qui se caractérise par un foisonnement
de projets et propositions ayant trait au changement politique,
Constatant que " la dynamique amazighe " ne cesse de
participer à la consolidation de la conscience moderniste
de la société civile au Maroc,
Vu que l'amazighité constitue un des chantiers clefs du
projet démocratique moderniste, impliquant le principe
d'une égalité de tous en droit, et un fondement
incontournable de la citoyenneté totale et complète,
Et en raison de l'échec des tentatives de faire valoir
les revendications amazighes par le truchement des canaux partisans,
syndicaux, et autres ONG des droits de l'homme,
Nous, militants de la cause amazighe, avons jugé utile
de rédiger et rendre publique " Une charte des revendications
amazighes en vue d'une révision du texte constitutionnel
".
Le mouvement amazighe, dés sa naissance, a fait de la question
de la " constitutionnalisation de l'amazighité "
l'une de ses priorités pour la réconciliation du
Maroc avec son identité, sa culture, et sa langue amazighe.
De même qu'il en a fait un leitmotiv de contestation contre
la marginalisation de cette question par les dispositions de la
Loi suprême de la Nation ; et par la même occasion,
un leitmotiv de contestation contre les autres composantes du
champ politique officiel qui avaient préféré,
elles, passer sous silence le thème de l'amazighité
des pactes tacites ou explicites avec le pouvoir, et des contenus
de leurs revendications constitutionnalistes et politiques. L'échec
des partis politiques à remplir leur fonction de canaux
de médiation afin d'exprimer les revendications constitutionnalistes
du mouvement amazighe, a été à l'origine
du mémoire constitutionnel présenté au Roi
défunt en 1996, et dans lequel ce mouvement a déployé
ses points de vue concernant ce qui devait être révisé,
ainsi que les propositions susceptibles de combler les silences
du texte constitutionnel ayant trait à l'identité
et à la langue amazighes.
La réduction de la crise constitutionnelle à une
simple révision du texte de 1996 dans le sens d'une institutionnalisation
du bicaméralisme au lieu et place du monocaméralisme,
a été l'expression évidente de l'échec
du constituant à réaliser la réconciliation
du Maroc avec son amazighité ; et ce , à un moment
où le régime était à la recherche
d'une formule d'ouverture politique susceptible de faciliter l'intégration
de l'opposition parlementaire à l'exercice du pouvoir gouvernemental
qu'on voulait d'alternance, mais en oeuvrant dans le sens de dépasser
les désaccords sur le texte constitutionnel à réviser,
tout en s'activant pour préparer l'opération de
dévolution du pouvoir royal !
Le changement intervenu au sommet de l'Etat par la dévolution
du pouvoir suprême à un nouveau Roi, ayant été
interprété à travers une logique de continuité
certes, mais aussi sur la base d'une hypothèse de coupure
qui suppose la fin d'une certaine ère politique avec toute
sa panoplie de règles et de mécanismes de fonctionnement
de la gouvernance. Aussi, un manifeste, mettant l'accent sur la
nécessité d'une reconnaissance officielle de l'amazighité
du Maroc, a-t-il réitéré la revendication
d'une constitutionnalisation de l'Amazighité ainsi que
son inscription dans le registre des projets de réformes
visant à la modernisation de l'Etat et de la société.
Seulement la réponse de l'institution monarchique aux revendications
amazighes, malgré un changement significatif du lexique
utilisé, notamment dans le discours d'Ajdir, a préféré
rester en retrait par rapport à l'aspiration institutionnelle
et à ses garanties constitutionnelles, ce qui a débouché
tout naturellement sur la création de " L'Institut
Royal de la Culture Amazigh (IRCAM) ". L'initiative a consacré,
tout aussi naturellement, la " déception " des
Amazighes dans une phase politique pourtant marquée par
le slogan de " la réconciliation politique "
encadrée, idéologiquement au moins, par une redondance
des notions de démocratie et de modernité.
Il est remarquable, en outre, que le retour sur la scène
politique de l'argumentaire constitutionnel comme préalable
à la démocratisation se fait uniquement à
travers du paradigme de " la séparation des pouvoirs
" c'est-à-dire à travers la recherche d'une
architecture constitutionnelle supposée garantir une transition
vers une parlementarisation du régime politique marocain
; démarche qui évacue, il faut bien le reconnaître,
le paradigme des " droits et libertés ", celui-là
même qui fonde l'ensemble de la perception, par le mouvement
amazighe, du texte constitutionnel et de l'opération visant
la constitutionnalisation des droits culturels et linguistiques.
De même que la réduction de l'idée des droits
de l'homme exclusivement aux seuls individus, et non aux peuples,
exprime une volonté manifeste d'ignorer ce qui sert de
fondement philosophique à toutes les formes des législations
conventionnelles internationales, à toutes les déclarations
universelles des droits de l'homme, et à l'esprit même
du préambule de la constitution marocaine qui y fait explicitement
référence !
L'action du mouvement amazighe dans cette " bataille constitutionnelle
" durant toute une décennie, en empruntant les canaux
du dialogue et des colloques, en usant de la pratique des mémoires,
en utilisant toutes les formes de concertation aux côtés
des forces politiques aspirant à la transition par le truchement
d'une constitution démocratique matériellement et
formellement, n'a pas réussi à amener les élites
partisanes, syndicales, et de la société civile,
à faire sienne la revendication " de la constitutionnalisation
officielle de la langue amazighe ", ni à l'inscrire
parmi ses revendications constitutionnalistes et ses projets demandant
la révision de l'actuelle constitution. Il va de soi, donc,
que le mouvement amazighe est désormais sommé d'observer
un moment de réflexion sur lui-même, et d'interroger
la nature de son action militante au niveau de la revendication
constitutionnaliste, ainsi que toutes les questions qui s'y rattachent
comme la méthodologie des initiatives revendicatives, la
nature des alliances possibles du mouvement amazighe, et des mécanismes
d'action et de fonctionnement de ses structures.
Le plafond des revendications du mouvement amazighe ne dépasse
pas le seuil d'une révision de la constitution actuelle
dans le sens d'une amazighisation de ses règles et de ses
dispositions. Il s'agit d'une limite qui prend en considération
les rapports de force existants, la nature revendicative des autres
acteurs politiques et civils, ainsi que la situation " subjective
" du mouvement amazighe en tant que force de contestation
et de proposition civile. Seulement, la révision revendiquée
tient à remettre en question " l'idée de droit
" dominante, aussi bien politique que constitutionnelle,
qui continue à évacuer la citoyenneté culturelle,
l'identité, l'universalisme, et la laïcité
de l'espace constitutionnel.
Le texte constitutionnel ayant déjà tranché
la question de l'initiative de la révision au profit du
seul couple : Roi/ Parlement, le mouvement amazighe est sommé
de dépasser ce blocage des canaux formels en en agissant
donc sur les autres acteurs de la vie politique et civile, en
imaginant un système de communication totalement indépendant
des institutions constitutionnelles qui ignorent ses revendications,
et de faire preuve d'effort créatif pour sortir de son
isolement institutionnel, le but final étant de gagner
les détenteurs du pouvoir constituant de révision
à leur cause.
Il est vrai que la pratique a démontré la difficulté
pour les détenteurs du pouvoir constituant dérivé,
ou institué, de " se représenter " les
revendications des Amazighes, mais cela ne doit pas occulter un
fait tout aussi indéniable, celui de l'influence qu'avait
exercé le mémoire constitutionnel que le mouvement
avait, par le passé, présenté au Roi défunt.
Pour la première fois dans l'histoire du pays, " la
question constitutionnelle " a été posée
en dehors du " consensus historique " qui se limitait
au couple : institution monarchique et les partis du Mouvement
National ; et a intégré l'acteur amazighe dans le
processus des réformes constitutionnelles.
D'un autre côté, la pratique du boycott des élections
législatives par les acteurs du mouvement amazighe, a été
l'expression de sa réaction négative à l'égard
d'institutions qui avaient toujours édulcoré l'amazighité
de leurs préoccupations et de leur agenda, ce qui est l'expression
manifeste de la crise profonde que connaît le principe de
la représentation politique des Amazighes.
C'est dire que notre appel à une révision constitutionnelle,
dépasse la simple revendication d'un " ré ornement
" juridique découlant d'un émerveillement quelconque
par l'idée de juridisation, et considère le document
constitutionnel comme un espace où se traduit institutionnellement
la volonté des acteurs politiques, ainsi que leur capacité
à exprimer juridiquement les valeurs de modernité,
de rationalité, et de tolérance. Le tout inscrit
dans un texte qui exprime le respect de la légitimité
nationale et internationale.
Nous ne considérons pas le document constitutionnel comme
un simple espace d'agencement des pouvoirs ; ou comme un texte
garantissant l'équation des équilibres institutionnels
conformément au principe de la séparation des pouvoirs,
mais plutôt comme la Loi Suprême traduisant le principe
de la citoyenneté dans ses dimensions politiques, civiles,
culturelles, et linguistiques. Un texte ouvert sur le droit international
conventionnel, garantissant les droits de l'homme et des peuples,
et intégrant en même temps la dimension de "
l'individu ".
Notre référentiel en matière de constitutionnalisme
est la vague des constitutions qui sont venues encadrer les phases
de transitions démocratiques de par le monde, et ont concilié
entre les trois dimensions fondamentales de toute vie politique,
à savoir la citoyenneté, l'autorité, et l'organisation.
Or, cette même équation a été ignorée
par le texte constitutionnel marocain qui est resté prisonnier
de la conception constitutionnaliste française, notamment
dans son aspect présidentialiste, en lui adjoignant le
principe de l'hérédité ; et ce par la grâce
de certains constitutionnalistes français ! De ce fait,
notre texte s'est éloigné des modèles du
" constitutionnalisme juridique " devenu en vogue à
la suite de l'effondrement des dictatures méditerranéennes,
et en pleine efflorescence du printemps africain. Grâce
à ce principe, en effet, les peuples d'Afrique ont fait
de leur constitution un espace pour la réconciliation nationale
et pour la reconnaissance du pluralisme culturel et linguistique.
Nous abandonnons la notion classique de constitution, et nous
embrassons celle qui fait du texte suprême " un Bill
des droits et libertés ", celle qui considère
la démocratie comme la conséquence de celui-ci.
Mais nous tenons, en même temps, à soutenir tout
projet constitutionnel qui vise à garantir l'institutionnalisation
et la rationalisation de l'action politique ; qui fait du formalisme
juridique le fondement du jeu politique .
Dans notre conception, le texte constitutionnel est une "
charte nationale des droits ", qui s'abreuve de la déclaration
Universelle des Droits de l'Homme, des deux Pactes Internationaux,
et de la troisième génération des droits
; celle-là même qui exprime la fin de l'attachement
à la spécificité, et notre engagement envers
la notion de citoyenneté universelle. Ceci signifie que
tout processus de démocratisation du régime politique
passera non seulement à travers des révisions constitutionnelles
qui toucheraient les mécanismes juridiques régissant
les trois pouvoirs, mais passera surtout par un élargissement
de la place constitutionnelle dévolue aux droits et libertés,
et par l'engagement de l'Etat à respecter ceux-ci et à
leur donner la priorité dans ses programmes d'action, quel
que soit le gouvernement en place eu égard à sa
nature ou à sa forme.
Notre action se fonde sur l'idée d'Auto Représentation
comme mécanisme de fonctionnement permettant aux Amazighes
de se constituer en force de revendication constitutionnaliste,
et de ne plus compter, comme par le passé, sur les protagonistes
traditionnels du jeu politique en les chargeant de transmettre
nos revendications au sommet de l'Etat. L'Auto Représentation
se fonde sur l'appropriation par l'acteur de ses propres revendications
au lieu de les confier à d'autres. Il s'agit d'une démarche
qui a été payante pour le mouvement féminin
marocain et pour les mouvements des droits de l'homme. Il s'agit
de dépasser les canaux partisans, présentés
traditionnellement comme un passage obligé. Le mouvement
Amazighe est, depuis longtemps, convaincu de cette démarche
d'Auto Représentation, même s'il ne l'avait adoptée
qu'une seule fois, notamment lorsqu'il a présenté,
au même titre que les partis dits du Bloc Démocratique,
son mémoire constitutionnel au chef de l'Etat. Et ce, après
avoir échoué à convaincre ce même "
Bloc " à faire siennes les revendications amazighes
dans le cadre de la révision constitutionnelle.
On le voit bien, la fonction et l'instrumentation de Auto Représentation
étaient une nécessité politique, dans la
mesure où le mouvement amazighe était incapable
d'ébranler la vision étriquée des partis
politiques eu égard à la question de la constitutionnalisation
de la langue amazighe. Cela se comprend du fait que les positions
de ces partis étaient dominées soit par la thèse
nationaliste de la langue, soit par un comportement attentiste.
Le comportement attentiste se trouve aujourd'hui réaffirmé
dans la pratique politique de " Rassemblement Pour Une Constitution
Démocratique ". Car, malgré la présence
de certaines mouvances amazighes au sein de ce " Rassemblement
", et malgré leur participation dans ses travaux notamment
par la présentation d'un document commun à toutes
ces mouvances concernant la question constitutionnelle, le rapport
final de ces travaux est totalement vide de toute référence
à la question de l'amazighité.
Que ce comportement soit la conséquence de la composition
politique du " Rassemblement " où domine une
vision " nationalitaire arabe ", c'est-à-dire
amazighophobe, ou la conséquence d'un manque de maturité
dans le traitement de la question constitutionnelle qui considère
encore et toujours l'amazighité, comme constitutionnellement
" impensable " ; la stratégie de l'Auto Représentation
déjà expérimentée avec succès,
nous permettra d'outrepasser le blocage que costituent, pour nous,
les organisations partisanes traditionnelles. Elle nous permettra
à coup sûr de briser les limites que nous impose
le cadre associatif, afin d'instrumenter nous-mêmes les
modes de fonctionnement des partis et des groupes de pression
pour faire aboutir nos revendications constitutionnelles.
Celles-ci se fondent sur la reconnaissance linguistique et identitaire
comme préalable et passage obligé à une "
interrogation " des dispositions du texte constitutionnel
; texte qui exclut encore et toujours toute référence
à l'identité de la Nation concernée par ses
dispositions, qui reconnaît encore et toujours l'officialité
de la langue arabe au mépris du pluralisme linguistique
séculaire, un pluralisme que le constituant a tenu à
édulcorer dans un espace géographique " idéologisé
" qu'il a baptisé " Maghreb Arabe " !
Ce processus continu d'exclusion de l'amazighité du texte
constitutionnel, va encore perdurer tant qu'il évitera
la référence aux droits culturels et linguistiques,
et tant qu'il se contentera de ne reconnaître qu'une liste
très limitative des principes constitutionnels des droits
de l'homme. De ce fait, le texte constitutionnel marocain se trouve
totalement fermé à la " référence
internationale ", et ce, dans la mesure où il ne permet
pas encore de faire valoir le droit conventionnel et transnational
; dans la mesure où il n'arrive pas encore à trancher
la question du statut de la convention internationale face à
la loi nationale; dans la mesure enfin, où il ne permet
pas aux individus d'interpeller le conseil constitutionnel pour
faire respecter l'esprit de la constitution par les lois nationales.
De même que l'article 19 vide les notions de " représentation
", de " Oumma ou Nation ! ", de " suprématie
" de toute leur essence moderniste, et les présente
sous une forme unanimiste qui exclut l'amazighité comme
projet de modernité assise sur le respect et la gestion
du pluralisme conformément au mécanisme de la laicité.
Le leitmotiv unanimiste et unitaire, on le voit bien, constitue
aussi la philosophie qui préside à la gestion de
l'espace territorial à travers l'adoption d'une régionalisation
qui reproduit une déconcentration du pouvoir en donnant
la priorité à la nomination par en haut, et marginalise
l'élément électif.
Par tous ces motifs, nous revendiquons :
*La constitutionnalisation de l'amazighité du Maroc, ainsi
que le fait que le Royaume du Maroc soit une partie de l'Afrique
du Nord dans son appartenance méditerranéenne et
ses prolongements africains.
*Consécration de l'égalité linguistique de
l'amazighe et de l'arabe à travers la reconnaissance de
leur caractère officiel, et de l'obligation faite à
l'Etat d'assurer leur évolution et leur introduction dans
les rouages officiels de l'Etat marocain.
*Constitutionnalisation du principe de laîcité.
*Enrichir le texte constitutionnel par une référence
solennelle aux Droits de l'Homme en constitutionnalisant les droits
culturels et linguistiques, et en reconnaissant les droits des
peuples aux côtés des droits des individus.
*Consécration des " coutumes amazighes " comme
l'une des sources de législation, et un espace d'inspiration
pour le législateur.
*Consécration de la suprématie du traité
international par rapport à la loi nationale, suprématie
qui ne doit en aucun cas être conditionnée par la
ratification ou non des pouvoirs publics, ainsi que la reconnaissance
de la possibilité pour le citoyen de la faire valoir auprès
de la justice.
*Constitutionnalisation de la régionalisation par une transition
de l'Etat marocain " unitaire et centralisé "
vers un " Etat des régions " , conformément
au principe du respect de l'unité territoriale qui ne doit
souffrir d'aucune atteinte sauf pour la Nation le décider
autrement par référendum populaire.
Traduit de l'arabe par Mr. Abdellatif AGNOUCHE
Si vous êtes de nationalité marocaine et vous êtes
intéressé a adjoindre votre accord et signature
à cette charte : |