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Les Amazighs face au pouvoir politique ou la quête de l'absolu


Par Jawad ABIBI, AmazighWorld.org
Date : 2009-01-23

Depuis toujours, les Amazighs (Berbères) revendiquent leur identité et leur culture face à un régime qui fait de l'arabité et de l'islam l'identité politique, religieuse et culturelle du peuple marocain. Pour ce régime, tous les marocains sont, par naissance et par définition, arabes et musulmans. Hélas, et logiquement, tous ceux qui osent contredire cette sacro-sainte affirmation ne peuvent être que considérés comme des racistes haineux, voire des traîtres de « l'unité nationale arabe ». Les Amazighs, de leur part, avancent que le Maroc est un pays amazigh depuis la nuit des temps. Pour eux, l'arabité et l'Islam ne sont que des intrus pour l'identité marocaine, qui est par essence berbère et clament, plus généralement, que l'amazighité est le fondement principal de l'identité nord-africaine. Ils utilisent tous les moyens légitimes pour défendre leur thèse, notamment les sciences de la vie, les sciences humaines, sociales, politiques tels le droit, l'histoire, l'anthropologie, l'archéologie et la génétique.

Certes, la culture amazighe existe et est bien vivace. La question que l'on souhaiterait poser ici concerne l'étendue et les limites de cette culture et de sa vivacité. Généralement lorsqu'on évoque la culture amazighe, notre imaginaire collectif repose sur un défilement d'images des danses d'Ahidus et d'Ahwach, d'œuvres d'art faisant l'éloge, tantôt de la beauté de la femme amazighe avec bijoux et ornements à l'appui, tantôt de sa bravoure, des armes qu'elle porte, et du cheval qui la guide, tantôt de son ignorance, condamnée à subir la misère. Cette dernière image, qui réduit la femme amazighe à l'illettrisme et à l'ignorance est celle que colporte les médias officiels, pour en faire un produit touristique généralisant des recettes importantes pour le budget de l'Etat au détriment des souffrances de tout un peuple. Ce même budget est celui qui finance tous les projets d'arabisation : les médias publics, les politiques dites de l'alphabétisation, le financement des administrations qui parlent toutes les langues sauf le tamazight…

Dans cet article, nous avons choisi de traiter, de façon brève, une question liée à la culture, mais jusqu'à là, intègre les tabous et les non dits. Parfois, on l'oppose à tort à la culture : il s'agit de la politique et plus précisément de la culture politique. Nous mettrons en exergue la culture politique chez les Amazighs. Parce que contrairement à l'image méprisante que véhicule le makhzen sur les Amazighs, ces derniers sont loin d'être ignorants. Comme tous les peuples autochtones, ils existaient et vivaient selon leurs coutumes bien avant l'émergence de l'état nation et n'ont pas attendus que des colonialistes viennent leur apprendre comment gérer les affaires de la Cité …

•  La culture politique 

Aristote définit la politique comme étant un art de gouverner les hommes, le terme « art » renvoyant à la créativité et à l'intelligence. Par syllogisme simple, la politique est un art, l'art fait partie de la culture donc la politique intègre, inévitablement la culture. La culture politique au sens d'Aristote serait la manière par laquelle un gouvernant ou un ensemble de gouvernants commandent un peuple. Au sens large, la culture politique est l'ensemble des comportements et des attitudes d'un peuple ou d'une société face à des questions et à des situations liées à la détention ou à l'exercice du pouvoir politique.

Les Amazighs ont-ils une culture politique ? Lorsque les premiers leaders du Mouvement Amazigh ont entamé des débats sur la nécessité de passer à l'action politique. La question concernait la couleur idéologique qu'ils colleraient à leur mouvement ; faut-il se positionner à droite ou à gauche ? Face à ce choix difficile, qui ne doit pas résulter de la précipitation, de nouvelles réflexions ont été développées. On a supposé qu'un modèle politique amazigh devrait exister. Il suffit de chercher profondément dans l'Histoire. Nous allons, dans ce qui suit, présenter les différentes pratiques et expériences politiques amazighes à travers l'Histoire politique contemporaine du Maroc et qui n'ont jamais été abouties.

•  Le pouvoir politique tribal 

La tribu berbère était, jusqu'à 1912 une entité politique souveraine. Certaines tribus ont pu préserver leur souveraineté jusqu'au milieu des années 30 du siècle dernier. La souveraineté politique tribale était incarnée par un ensemble d'institutions : le cas de l'Amghar, qui était un véritable chef, détenait le pouvoir exécutif de la tribu. La tribu souveraine était en perpétuelle résistance contre le pouvoir central. Ce dernier n'a jamais réussi à imposer son autorité sur l'intégralité du territoire ; les valeurs sociales, l'appartenance sanguine et tribale ainsi que les données géographiques étaient toujours favorables à l'indépendance et à l'autonomie de la tribu.

Pour en revenir à la culture politique tribale, il est difficile d'y porter un jugement de valeur considérant que le système tribal était un système purement démocratique. Ce qu'on peut constater, par contre, c'est qu'il y avait une sorte d'alternance politique sur la chefferie « institution de l'Amghar ». En fait, toutes les familles, les clans et les tribus avaient le droit d'accéder à cette institution. Cependant, seuls les plus fortunés et disposant d'une certaine bravoure parmi les autres éléments du groupement, pouvaient devenir Amghar. La démocratie n'est pas uniquement l'alternance, c'est une évidence. Mais l'alternance était un moyen pertinent pour mettre la tribu à l'abri de la tyrannie d'un chef à vie. Le système tribal amazigh peut être rapproché du régime présidentiel américain d'aujourd'hui et qu'on qualifie de ploutocratie, et qui veut dire un régime démocratique où seuls les riches peuvent accéder au pouvoir.

•  Les Amazighs et le pouvoir politique pendant la période coloniale 

Comme nous l'avons déjà mentionné, certaines tribus et confédérations tribales amazighes ont pu préserver leur souveraineté politique jusqu'au début des années 30 du siècle dernier. La colonisation française était conçue chez les Amazighs comme une atteinte à l'intégrité territoriale de la tribu, ainsi les premières luttes contre les colons alliés au Makhzen avaient pris la forme de défense de la tribu ou de la confédération tribale. Cependant, chez certains leaders de la résistance, va naître le sentiment de devoir défendre, non pas uniquement leurs propres tribus, mais aussi les tribus limitrophes. Ce devoir est fondé sur deux considérations : une considération morale qui est celle de la solidarité et une considération politique. En effet, certains leaders, après la libération de leurs tribus, continuaient le combat pour libérer d'autres territoires tribaux de l'occupation franco-makhzenienne pour les soumettre à leur propre autorité. C'est le cas de Moha Ouhmou Azayyi qui avait comme objectif la soumission de toutes les tribus de Zayyan. Plus encore, pour certains historiens, Moha Ouhmou avait l'intention d'unifier tout le Maroc sous son pouvoir. C'est le cas, également de Mohammed Bnu Abdelkarim El Khattabi, qui a pu régner sur le Rif pendant des années. Cependant, l'alliance entre les puissances coloniales et le Makhzen était assez forte pour étoffer l'ambition politique des Amazighs.

La soumission, de toutes les tribus va mettre fin au phénomène politique tribal. C'est ainsi que les Amazighs vont voir émerger une autre ambition politique supra tribale. Cette ambition est incarnée par le projet de l'armée de libération qui s'est fixé dans la libération nationale et la libération de Tamazgha. Mais l'obstacle était la trahison des partis politiques dits « nationalistes », ceux-là mêmes qui avaient renoncé au Sahara marocain, à Sebta et à Mellila, et qui avaient trahi les frères algériens dans leur combat, en partant négocier et partager le « petit gâteau » libéré. Cette grande trahison était derrière l'avortement du projet politique de l'armée de libération. Qui va être suivi par la liquidation des symboles de cette même armée.

•  L'échec des Amazighs dans la conquête du pouvoir après l'indépendance 

L'année 1956 ne coïncide pas avec ce qu'on a coutume d'appeler « l'indépendance du Maroc », tel que le voulait la version officielle de l'Histoire du pays. En effet, à cette période, la moitié du territoire national se trouve encore sous la domination coloniale. Cependant, les partis dits nationalistes vont s'allier à la monarchie pour remettre en place un ancien/nouveau régime qu'on appellerai le « Néo-Makhzen » caractérisé par la dominance de l'institution monarchique, et un pouvoir fictif institutionnalisé de manière plus moderne confié aux leaders des partis « nationalistes ». C'est ainsi que le régime marocain n'a pas fait rupture totale avec le système traditionnel ; les phénomènes comme : le commandement des croyants, l'allégeance, la sacralité de la personne du Roi… en sont la preuve. Mais le lendemain de « l'indépendance » marquerait l'apparition des pratiques et des institutions empruntées des systèmes politiques modernes : le parlement, le gouvernement, la constitution, le référendum…sauf que le fonctionnement de ces institutions modernes se trouve faussé par les pratiques politiques archaïques fondées sur l'infaillibilité et la sacralité du souverain qui monopole tous les pouvoirs, tout en partageant la richesse avec les soi-disant nationalistes.

Pendant que la monarchie et les nationalistes se partageaient ; fictivement le pouvoir et effectivement les richesses des Amazighs, l'armée de libération, berbère de formation continuait son combat aux cotés de leurs frères algériens. Mais la formation des FAR (Forces Armées Royales) va mettre fin à l'armée de libération marocaine ; certains de ses leaders vont être liquidés, par exemple, le cas du martyr Abbés ELMSSAADI, d'autres avaient intégré les FAR. Les militants de l'armée de libération, armés de la morale plutôt que de l'ambition politique avaient raté l'occasion de conquérir le pouvoir politique. Ainsi les Amazighs poursuivent leur quête de l'absolu.

•  Actions politiques régionalistes des Amazighs

Après avoir expulsé la puissance coloniale, les Amazighs avaient toutes les chances de fonder un Etat-nation amazigh du fait qu'ils disposaient de toutes les prérogatives d'atteindre cet objectif, à savoir : une grande conscience politique, une force militaire et une puissance économique. Toutefois, l'absence d'une coordination entre les différentes régions et du sentiment d'un véritable nationalisme amazigh a entravé le projet politique des Amazighs et mené à l'avortement toutes les tentatives de changement. Une conscience politique amazighe, une puissance économique et une force militaire, il s'agit là des soubassements d'un éventuel pouvoir politique amazigh, sauf que ces éléments exigent une simultanéité dans le temps et une coordination entre les régions. Le manque de ces deux dernières conditions explique comment les Amazighs ont, encore une fois, échouer à prendre le pouvoir.

La conscience politique chez les Amazighs du Rif

La concentration des leaders de l'ALM (Armée de Libération Marocaine) dans le Rif était derrière cette conscience, et notamment le prince Moulay Mohand qui symbolisait cette conscience politique. La mise en place d'une République dans le Rif entre 1925 et 1929 incarnait un niveau suprême de la culture politique chez les Amazighs du Rif, qui allaient réapparaître sur la scène à travers la désobéissance civile de 1956. La maturité politique des Rifains était insuffisante pour maintenir le pouvoir politique. La force militaire et la puissance économique faisaient également défaut.

La puissance militaire au Centre et au Sud Est 

Nul ne peut contester le rôle des militaires amazighs formés dans le collège d'Azrou et celui des lauréats de l'académie militaire de Meknes dans la restauration du trône Alaouite. En fait, les militaires amazighes, pour faire face au projet des politiciens de Fès qui visait la mise en place d'un parti unique baathiste, avaient décidé de prêter leur allégeance au sultan Mohamed V, Pour eux, c'était donc un mal nécessaire. Le désastre sociopolitique qu'a connu le Maroc pendant les années 60 et 70 va porter l'opposition à l'extrême radicalisme. L'opposition politique guidée par la doctrine marxiste léniniste conjuguée au nationalisme arabe va influencer les généraux amazighs, qui avaient une formation militaire et non politique, pour tenter des coups d'Etat pendant le début des années 1970. Les coups d'Etat des années 70 n'étaient pas la meilleure voie pour établir un pouvoir politique berbère, car la conscience politique faisait défaut.

La puissance économique du Souss

Les Amazighs n'ont pas bénéficié de la marocanisation de l'économie nationale, seule la bourgeoisie de Fès en était bénéficiaire. Cependant, les Amazighs du Souss ont su élaborer un système économique très fort qui leur avait permis de constituer un capital concurrent face à celui de la bourgeoisie de Fès. Les Soussis sont connus par leur savoir faire et leur forte compétitivité économique. Encore aujourd'hui, leur omniprésence dans le secteur commercial, agroalimentaire et dans le secteur de la construction est remarquable au niveau national. Même si la conscience culturelle amazighe est très ancienne dans le Souss, cette région n'a pas pu développer un modèle politique amazigh à défendre, comme c'était le cas dans le Rif et ne disposait pas de cadres militaires comme l'était le cas de l'Atlas. Au cours des années 60 et 70, les fortunés du Souss étaient engagés derrière les partis arabistes de la gauche (notamment UNFP) et contribuaient largement au financement de ces partis.

On ne peut pas nier le rôle qu'ont joué et que jouent encore les fonds du Souss dans la réhabilitation et la promotion de la culture amazighe. Mais l'absence d'un projet politique amazigh dans cette région neutralise le rôle de ce capital.

Conclusion 

En guise de conclusion, nous aimerions poser une question que l'on ne peut plus éviter: Pourquoi les Amazighs n'ont pas pu vaincre leurs handicaps pour mettre en place un pouvoir politique puissant ? Certes, le mot « amazigh » veut dire un homme libre, et par extension le peuple amazigh est synonyme du peuple libre, et la liberté d'un peuple n'est rien d'autre que la détention de la souveraineté. Pourquoi, donc ce peuple qui se dit et se veut libre n'a toujours pas le pouvoir équivalant de la souveraineté ?

Pour les philosophes idéalistes, la politique est une science suprême et une pratique de la vertu. Cependant, les penseurs positivistes les plus réalistes pensent qu'un profond fossé sépare la morale de la politique et que ces deux pratiques se trouvent le plus souvent contradictoires. Les Amazighs se trouvaient et se trouvent aujourd'hui encore devant ce grand dilemme éternel. Ils sont appelés à faire à nouveau leur choix et d'une manière précise et pertinente. Ils ont le choix entre la morale idéale, renonçant ainsi à la politique. Ainsi, ils n'auront jamais du pouvoir politique. Ou bien, ils optent pour la politique et qu'ils fondent leur projet sur la réalité politique et non pas sur la morale idéale. De cette manière, ils auront beaucoup plus de chances de récupérer leur souveraineté perdue, depuis la nuit des temps.

 

Par Jawad ABIBI

Chercheur en Droit Public

Tinghir



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Commentaire N° : 1
Par: saiid Le : 2010-05-28
Titre: ayyoz
Pays: Morocco  

moi je suis l\'un des miliers des amazighes qui s\'intersse toujours a la couse amazigh alors que je besoin de savoir plus sur ma culture helas que le gouvernoument ne vise pas a nous enseigner notre culture svp envoyer moi tous a mon email aubord de ce sujet  
 
 

 
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